You're shining like a neon light ; I light you up, when I get inside.
C'était en 1948.
C'était une chaude journée d'été, et si ce n'était la naissance du fils Andrews, rien de notoire ce jour là à part la naissance de Ringo Starr huit ans plus tôt.
On l'avait appelé William, comme son grand père, décédé quelques années plus tôt. C'était un jour comme les autres, excepté pour eux. C'était le 07 juillet 1948, à Londres.
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▬ Je sais pas comment j'ai fait pour survivre pendant tout ce temps dans le Wisconsin. C'est pas mal, mais sincèrement... C'est pas New York.
C'était pas un palace. C'était pas la maison familiale. Mais c'était pas si mal. C'était un matelas usé dans un coin de chambre au dernière étage avec un balcon minuscule. Il y avait quelques livres autour du lit, sous des couettes mal rangées. Des feuilles de papiers et des stylos traînaient par terre. Sa plus précieuse possession à ce moment était un vinyle des Beach Boys, fraîchement sorti fin mars.
▬ Tu continues d'écrire ?
Will releva les yeux, vaguement intéressé. Il haussa les épaules, puis se pencha pour attraper ses cigarettes. Le blond en face de lui se passa nerveusement la main dans les cheveux. Il y eut un craquement, puis un léger nuage de fumée. Il se redressa.
▬ Je sais pas, j'aime pas ce que je fais. J'ai pas envie de parler de ça, là.
Il y eut un silence pesant. Will préféra regarder ailleurs.
Soudain, il y eut du bruit près de lui. Il vit un visage se rapprocher du sien, des yeux d'un bleu profond cherchant les siens.
Il frémit à la simple pensée qu'il pouvait sentir son souffle contre ses lèvres.
Un murmure.
▬ Viens, on s'en va. Pars avec moi. On assez d'argent pour le faire. On part, ensemble.
▬ Et on irait où ?
▬ Là où personne ne nous retrouverait.
Un sourire se dessina sur son visage.
C'est pour cette raison qu'il aimait Joe Foster.
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Ils étaient partis à Los Angeles vers 1968. Ils avaient un appartement assez grand et passaient le plus clair de leur temps dehors, allongés dans un parc à regarder en l'air dans des rêves psychédéliques et colorés. Ils ne tournaient plus qu'à ça, maintenant. Et partaient à chaque fois pour un long voyage, entre eux. C'était les meilleures années de sa vie.
Sa seule priorité était Joe.
Il ne se sentait bien que dans ses bras, lorsque il passait des heures entières contre lui à écouter les murmures de son amant au creux de son oreille. Il pensait que rien d'autre n'était mieux que ça, que la sensation d'être avec l'être aimé, loin de tout, dans un monde de couleurs et de rêves parfumés d'encens. Il était heureux, et ça ne s'expliquait pas. Parfois, ils se donnaient la peine de faire un repas de fête pour les occasions importantes. Leur premier Thanksgiving se termina par la commande d'une pizza. Ils apprirent plus tard comment correctement cuisiner une dinde. Chaque regard à ce moment là était éclairé d'une lueur profonde, de ce bonheur apparent. Et rien ne comblait davantage Will que ça.
Il était heureux à ce moment là, sans doute plus heureux qu'il ne l'a jamais été de toute sa vie. Il voulait que chaque instant soit éternel, et rester toujours aux côtés de Joe ainsi. Il était plein de rêves, voulait voyager à ses côtés et faire le tour du monde avec lui, voir les plus belles capitales et simplement penser à l'aimer. Il voulait encore passer ses nuits dans ses bras, à sentir son souffle dans son cou et sa voix lui murmurer qu'il l'aime.
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Et puis il était arrivé.
Il s'appelait Charlie. Ses cheveux lui retombaient légèrement sur les yeux, et avait des mains trop maigres. Il avait quelque chose d'inexplicable. Quelque chose qui faisait que William se mit à penser de plus en plus souvent à lui. Il sentait qu'il était lassé, que certes, il aimait Joe, mais que ce n'était plus comme avant. La routine s'était installée. A la trentaine passée, il ne se sentait plus exister comme avant. Le temps s'était emparé de lui, emparé d'eux, qui étaient partis sans jamais ne rien dire s'exiler à l'autre bout du pays. La passion se réduisait à présent à un "t'as fait quoi aujourd'hui ?". Ca faisait trop longtemps qu'il n'avait pas senti ce regard fiévreux sur lui.
Et c'était Charlie qui le lui donnait.
Il se mit à penser à Charlie, au regard de Charlie, aux cheveux trop longs de Charlie, à ses yeux, à ses bras, à sa présence à ses côtés. Le reste n'avait plus d'importance. Ca faisait un moment qu'ils ne comptaient plus aux yeux de l'un et l'autre. Alors lorsque un soir de pluie Charlie décida de rester plus longtemps dans la salle de classe, il n'avait pas plus hésité au fait de rester avec lui que ça. Et c'est ainsi que ça arriva.
C'était une sensation qu'il avait depuis longtemps perdue.
Pouvoir le serrer contre lui dans un baiser fiévreux, perdre ses doigts dans ses cheveux et s'accrocher plus fort à sa nuque ; et ce soir là, il n'eut qu'un nom en bouche.
Ce n'était pas celui de Joe.
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Joe l'avait découvert.
Il sentit le monde s'écrouler sous ses pieds. Comme un retour à la réalité. Et ses supplications ne changeait rien, alors que Joe partait, qu'il ramassait ses affaires, le visage fermé, il ne put le retenir, malgré le peu qu'il lui restait, malgré son amour qu'il avait trop enfoui sous le poids du temps. Ca ne changea rien.
Il est parti.
Le fait est qu'à 34 ans, on n'a plus l'innocence des 19. Perdus, les souvenirs des premiers fous rires dans les champs, la sensation qu'il avait lorsqu'il écoutait de la musique dans sa chambre, le souvenir d'eux encore sous ce désir de se connaitre, se posséder. Avec le temps, tout était passé, la passion des premières années laissant place à une sombre et triste routine. Il l'admettait volontiers. Il n'était plus aussi jeune qu'avant. Avec l'âge, son visage s'était fermé derrière des mèches brunes retombant devant ses yeux, pas tellement rasé de près. Ca n'avait pas plu à Joe. Il avait changé, trop changé. Il était devenu amer. Il avait sombré pour un autre, un gamin de sa classe, d'à peine vingt ans. Joe l'a su. Et il est parti.
Sans lui, la vie était un cauchemar. La réalité l'insupportait. Il ne pouvait plus regarder sans être dégoûté des simples films où deux personnes s'aimaient. Son malheur était trop grand pour ça. Chaque action était une blessure plus profonde, lui rappelant qu'il n'était pas là. Ses draps étaient froids. Ses bras n'étaient plus là. La chaleur de son corps contre son dos avait disparue. Ca le rendait malade. Partout où il allait, sa seule compagnie était son ombre. La radio tournait à un volume faible, comme un bruit de fond. Il se répétait sans cesse son nom. Joe. Seul Joe comptait à ses yeux.
Les jours passaient, il n'allait pas mieux. Il n'était que le fantôme de lui même. Chaque seconde le renvoyait à un souvenir qui lui déchirait le coeur. Le simple fait de vivre lui était insupportable. Sa propre existence était un cauchemar des plus atroces.
Alors ça finit par arriver.
C'était le mieux pour lui.
Il était parti à son tour dans une vague de couleurs et de sons. Puis rien. Le vide.
Il n'était qu'un souvenir au goût de poussière. Un gars mort sur son lit. Un nom sur ses lèvres.
Joe.